Numéro 1

La prolifération des ARM

Lorsque l’on parle des smartphones, on parle rarement des éléments qui les constituent, des choix technologiques et économiques qui ont présidé à leur conception et commercialisation. Pourtant, ces ordinateurs de poche et leurs composants ont une histoire. Prenons par exemple les processeurs. Ces circuits intégrés extraordinairement complexes sont le cerveau de votre téléphone, et ils sont tous conçus par une seule et même société britannique : Arm®.

Il y a de fortes chances que vous possédiez un smartphone ou simplement un GSM basique. Un IPhone, un FairPhone, un Samsung, autre chose ? Quelle que soit votre réponse, une chose est certaine : le processeur Processeur Un microprocesseur.  [1] dans votre téléphone a été conçu par une société basée à Cambridge, Arm.

Et pourquoi cette société occupe-t-elle une place aussi centrale dans le monde informatique aujourd’hui ? Et bien, c’est à cause de la BBC, d’une bande de bricoleureuses de talent et du prix de la céramique. C’est un peu long à expliquer, alors, allons-y.

L’histoire commence à la fin des années 1970. Ce sont les débuts de la révolution micro-informatique. Jusqu’alors, les ordinateurs étaient des machines de la taille d’un frigo, très coûteuses, opérées par un personnel qualifié, enfin bref, des énormes bidules destinés aux entreprises pouvant se permettre un tel investissement et en payer la main d’œuvre.

Avec l’invention du microprocesseur, il devient possible de concevoir des ordinateurs nettement plus compacts, certes très rudimentaires, mais aussi plus faciles à utiliser et surtout à un tarif accessible à un..e particulier..e.

On voit apparaître à cette époque une myriade de fabricants d’ordinateurs de tout poil. C’est un territoire tout neuf à conquérir, personne n’a d’expérience, tout le monde bricole, et on trouve sur le marché un nombre invraisemblable de modèles d’ordinateurs différents, souvent vendus sous forme de kits à assembler soi-même, et tous incompatibles entre eux. C’est un bordel sans nom. C’est génial.

Quand les glands poussent sur les chaînes (de télé)

C’est dans ce joyeux contexte qu’est créée Acorn Computers Ltd, en 1978, à Cambridge. Acorn veut dire gland en anglais, et le logo de la société est d’ailleurs un gland. Il y en a bien d’autres qui ont choisi une pomme comme emblème, alors pourquoi pas ? [Dans le même registre végétal et à la même époque, aux Pays-Bas, on a vu apparaître les ordinateurs Tulip. À ma connaissance, en Belgique, il n’y a en revanche jamais eu de fabricant d’ordinateurs appelé Chicon, ce qui est navrant.] En tout cas, Acorn présente le grand avantage d’apparaître avant Apple dans les annuaires téléphoniques. Ça peut sembler idiot, mais ce n’est pas par hasard que de nombreuses sociétés dans le secteur technologique, ont choisi un nom commençant par un A : Acer, Acorn, Adobe, Apple, Atari, Asus… À une époque où l’on communiquait surtout par courrier ou par téléphone, apparaître en premier dans un annuaire représentait un avantage commercial réel pour une entreprise qui se lançait.

Acorn démarre ses activités en vendant des petits ordinateurs en kit, comme bien d’autres. Pendant ce temps, les autorités britanniques commencent à prendre conscience de l’importance grandissante de l’informatique dans l’économie, la société et même la vie quotidienne.
Il est donc essentiel que la population découvre ce qu’est un ordinateur et apprenne à s’en servir. La BBC lance en 1979 l’ambitieux BBC Computer Literacy Project. Il s’agit d’aider les écoles à s’équiper de matériel informatique, de produire des manuels d’apprentissage aussi bien pour les enfants que pour les adultes, et de diffuser des émissions télévisées didactiques sur le sujet.

Seulement voilà : au début des années 1980, l’informatique est toujours une jungle où foisonnent d’innombrables modèles d’ordinateurs s’utilisant tous de façon différente. La première question qui se pose quand on veut enseigner l’informatique est donc : sur quel ordinateur ?

La BBC a besoin d’un modèle d’ordinateur officiel, qui pourra être utilisé pour l’ensemble de son projet éducatif. Un appel à projets est lancé auprès des fabricants et, comme vous vous en doutez, fûtée comme vous êtes, c’est Acorn qui sera choisit.

En 1981, Acorn lance donc sur le marché le British Broadcasting Corporation Microcomputer System, fort heureusement surnommé le BBC Micro. Comme la plupart des micro-ordinateurs de l’époque, il est construit autour d’un processeur Processeur Un microprocesseur. 8 bits [2]. Constitué d’un boîtier regroupant la carte mère et le clavier, il se branche sur la télévision du salon.

Il est vendu 235 £, ce qui correspondrait aujourd’hui à 1300 €. C’est un peu cher, mais les écoles peuvent l’obtenir pour la moitié du prix public.
Le BBC Micro est un ordinateur remarquable. Tout dans sa conception semble rigoureux, logique, professionnel. Il est très solide. Il est fiable. On peut lui adjoindre une flopée de périphériques. Son système d’exploitation Systèmes d’exploitation 
Système d’exploitation 
systèmes d’exploitation
système d’exploitation
Operating System
iOS
Android
Windows
Linux
macOS
Un système d’exploitation consiste en un logiciel qui permet à une machine d’exécuter d’autres logiciels. Windows, macOS ou Linux sont des systèmes d’exploitation pour les ordinateurs. iOS et Android sont des systèmes d’exploitation utilisés par les smartphones.
est sophistiqué.
C’est bien simple : il excède toutes les spécifications qui figuraient dans le cahier des charges de la BBC. Et il présente une fonctionnalité tout à fait unique : un connecteur interne, très britanniquement nommé le Tube, permettant d’ajouter un second processeur Processeur Un microprocesseur. de n’importe quel type.

Vous verrez un peu plus loin à quel point c’est une idée brillante.

Arrêtons-nous un instant pour récapituler quelques éléments. Quand Acorn lance le BBC Micro en 1981, la micro-informatique est encore un domaine qu’on défriche. La société Acorn elle-même n’existe que depuis trois ans. L’équipe à l’origine du BBC Micro est jeune, n’a pratiquement aucune expérience, et pourtant elle a créé un des meilleurs ordinateurs 8 bits 8 bits
Architecture 8 bits
8 bits (Architecture 8 bits) : Désigne la faculté pour un processeur de traiter en une fois 8 bits, soit 1 octet, de données en une seule opération.
jamais conçus.

Suite sixteen

Le BBC Computer Literacy Project connaîtra un succès retentissant pratiquement tout au long des années 1980. Les émissions sont suivies par des millions de téléspectateurices, les publications s’arrachent, deux millions de BBC Micro sont vendus, et la plupart des écoles primaires et secondaires britanniques en sont équipées.

Comme on peut l’imaginer, Acorn a tenté d’exporter le BBC Micro à l’international, mais sans grand succès. En dehors du Royaume-Uni, malgré ses qualités indéniables, il est passé pratiquement inaperçu. Prenez des notes, car ce sera une autre constante de l’histoire d’Acorn : l’équipe marketing n’est pas aussi douée que l’équipe technique. Mais alors pas du tout.

Le succès, certes local, du BBC Micro modifie totalement la physionomie de la société Acorn Computers. Entre 1979 et 1983, ses bénéfices passent de trois mille à… huit virgule six millions de livres sterling. Acorn devient un groupe important, abritant plusieurs filiales. Évidemment, ce n’est pas très compliqué de vendre beaucoup de machines quand on produit l’ordinateur recommandé et promu par la BBC.

Malheureusement pour Acorn, cela ne peut pas durer éternellement. Au fur et à mesure des années, le BBC Computer Literacy Programme perd de son sens. À la fin des années 1980, le grand public n’a plus vraiment besoin qu’on lui explique ce qu’est un ordinateur, on peut apprendre l’informatique par bien d’autres moyens, et le BBC Micro est techniquement obsolète.

La BBC mettra fin au Computer Literacy Programme en 1989, et Acorn perdra définitivement sa poule aux œufs d’or.

Mais Acorn ne s’est pas seulement reposée sur ses lauriers entre 1981 et 1989. Au moment où le BBC Micro est lancé, l’équipe technique d’Acorn est déjà pleinement consciente du fait que les processeurs 8 bits 8 bits
Architecture 8 bits
8 bits (Architecture 8 bits) : Désigne la faculté pour un processeur de traiter en une fois 8 bits, soit 1 octet, de données en une seule opération.
vont rapidement atteindre leurs limites et qu’il faudra passer à une technologie plus complexe. On se met donc très vite à la recherche du processeur Processeur Un microprocesseur. 16 bits qui assurera la relève.

Le processeur Processeur Un microprocesseur. 8 bits 8 bits
Architecture 8 bits
8 bits (Architecture 8 bits) : Désigne la faculté pour un processeur de traiter en une fois 8 bits, soit 1 octet, de données en une seule opération.
qui équipe le BBC Micro porte le doux nom de 6502. Son successeur est justement en cours de conception par Western Design Center, alias WDC, une société située dans l’Arizona. Il s’appelle 65C816 (emoji cœur avec les doigts), c’est un processeur Processeur Un microprocesseur. 16 bits, et il est censé être compatible avec son prédécesseur. Parfait !

Sophie Wilson et Steve Furber, qui ont conçu le BBC Micro, prennent l’avion pour aller rencontrer l’équipe de WDC. Pendant le vol, le regard perdu dans les nuage Cloud On parle de « cloud » ou de « nuage » (en français), pour désigner une infrastructure logicielle ou de stockage hébergée ailleurs sur l’internet. Loin de l’imaginaire immatériel que le terme – et souvent les visuels utilisés – illustrent, ces services nécessitent des machines performantes et polluantes, hébergées dans des datacenters. On entend parfois que le cloud est « l’ordinateur de quelqu’un d’autre », cette expression souligne que les données qui y sont enregistrées se trouvent sur une machine appartenant à une autre personne, association ou entreprise. s, tous deux se laissent aller à de douces rêveries et s’imaginent arrivant dans cette grande entreprise américaine, visitant des locaux ultramodernes et immaculés, s’émerveillant devant des stations de travail surpuissantes et rencontrant les cerveaux les plus affûtés du monde de l’électronique intégrée.

Sauf que… ça ne va pas du tout se passer comme ça. Le bâtiment de WDC est un bête pavillon au milieu d’une banlieue américaine quelconque. À l’intérieur, ce sont surtout des tas de stagiaires qui conçoivent les circuits. Et leurs outils de travail, ce sont des Apple II, c’est-à-dire des micro-ordinateurs pas très impressionnants si on les compare, je ne sais pas moi, à des BBC Micro, par exemple.
Quant au nouveau processeur Processeur Un microprocesseur. 16 bits, il promet d’être coûteux sans vraiment améliorer les performances. Sophie et Steve remontent très vite dans l’avion, une idée commençant à germer dans leur esprit : est-ce si compliqué que ça de créer un processeur Processeur Un microprocesseur.  ? Et tant qu’à rêver, pourquoi pas un processeur Processeur Un microprocesseur. 32 bits ?

L’amour du RISC

Ce qui va achever de convaincre l’équipe technique d’Acorn de se lancer dans la conception d’un processeur Processeur Un microprocesseur. , ce sont des rapports de recherche fraîchement publiés par l’université de Californie à Berkeley.

On y explique un nouveau principe de conception assez contre-intuitif : pour obtenir un processeur Processeur Un microprocesseur. plus puissant, il ne faut pas concevoir un processeur Processeur Un microprocesseur. qui sache effectuer des instructions plus complexes, mais au contraire un processeur Processeur Un microprocesseur. qui ne sache effectuer qu’un nombre limité d’instructions basiques.

Comme le circuit sera plus simple, il pourra fonctionner bien plus rapidement ; au final, il sera plus avantageux d’effectuer un grand nombre d’instructions basiques mais rapides qu’un petit nombre d’instructions complexes mais lentes.

Ce principe de conception est maintenant connu sous le nom de RISC (pour Reduced Instruction Set Computer) et il a largement fait ses preuves. En revanche, au début des années 1980, c’est encore une idée controversée et surtout jamais mise en pratique.

Une idée de processeur Processeur Un microprocesseur. 32 bits très ambitieuse, une équipe parfaitement inexpérimentée dans le domaine des circuits intégrés, un principe de conception totalement incertain… On peut se demander pourquoi la direction d’Acorn a donné son feu vert à un projet pareil.

C’est moins loufoque qu’il n’y paraît. Nous sommes maintenant en 1983. Grâce au BBC Micro, la santé financière d’Acorn est resplendissante. La direction d’Acorn pense que, pour se développer et assurer sa pérennité, un fabricant d’ordinateurs doit être en mesure de concevoir ses propres puces électroniques, sans dépendre d’un prestataire extérieur.
Acorn a donc déjà investi dans du matériel et recruté quelques ingénieures. Il ne manquait qu’un projet sur lequel travailler ; l’idée de Sophie Wilson et Steve Furber tombait à point nommé. Par ailleurs, pour convaincre ses collègues et sa hiérarchie, Sophie Wilson avait déjà conçu le jeu d’instructions du futur processeur Processeur Un microprocesseur. et écrit un programme qui simule son fonctionnement.

Steve Furber se retrouve chargé de la conception électronique. Pour que le prochain ordinateur d’Acorn ait une chance de s’imposer dans les entreprises, il est important qu’il ne soit pas plus cher que ses concurrents. Il faut maîtriser les coûts de production de chaque composant, et Steve est prié de faire en sorte que le circuit du nouveau processeur Processeur Un microprocesseur. puisse être placé dans un boîtier en plastique plutôt qu’en céramique : un boîtier en plastique coûtant plusieurs dizaines de livres de moins qu’un boîtier en céramique.

En revanche, il supporte mal la chaleur. Très concrètement, pour que le circuit puisse utiliser un packaging plastique, sa consommation électrique ne devra pas excéder un watt.
Voilà, bonne chance, Steve.

Wait, watt ?

En 1983, le modèle phare d’Intel est le 80286. C’est un processeur Processeur Un microprocesseur. 16 bits et il consomme trois watts. Avoir comme objectif de concevoir un processeur Processeur Un microprocesseur. 32 bits qui consomme 1 W est donc, disons, audacieux. De plus, estimer la consommation d’une puce électronique qui n’existe encore que sur papier est difficile. Ce n’est que quand un prototype sera fabriqué qu’il sera possible de la mesurer, et Acorn ne dispose pas de l’équipement nécessaire pour produire ce genre de prototypes.

Steve et son équipe travaillent donc à l’aveugle, mais portés par leur enthousiasme, ou peut-être leur naïveté, ou de l’inconscience, allez savoir : toujours est-il que, en 1985, le grand jour arrive. Le travail de conception est bouclé, un prototype a été commandé à une firme de Munich, et il vient d’être livré à Acorn.

Vous vous demandez peut-être comment on fait pour tester un processeur Processeur Un microprocesseur. entièrement nouveau, alors qu’il n’existe encore aucun ordinateur qui soit capable de l’utiliser. Eh bien on utilise le Tube, le connecteur incroyable du BBC Micro qui permet d’accueillir n’importe quel processeur Processeur Un microprocesseur.  !

Faits d’ARM

Le jour même, l’équipe d’Acorn peut donc faire fonctionner le processeur Processeur Un microprocesseur. , écrire son tout premier programme et voir s’afficher à l’écran cette déclaration émouvante :

« Hello world I’m an ARM »

Ah oui, j’ai oublié de vous le dire : le nouveau processeur Processeur Un microprocesseur. s’appelle ARM, pour Acorn RISC Machine. Une société qui s’appelle gland, un processeur Processeur Un microprocesseur. qui s’appelle bras… Ces gens-là ont le sens du nom accrocheur.

Le processeur Processeur Un microprocesseur. fonctionne, donc, et c’est déjà une prouesse en soi. On sable les bouteilles de champagne. Ce sera le début d’une longue tradition : quand un nouveau prototype est reçu et fonctionne, champagne ! Toutes les bouteilles ont été soigneusement conservées en souvenir et elles sont maintenant exposées au Centre for Computing History, à Cambridge. Oui.

Quelques jours plus tard, on décide d’effectuer la mesure que tout le monde redoute : quelle est la consommation électrique de l’ARM ? Roulement de tambour… La réponse est 0,1 W, soit dix fois moins que la limite visée. L’équipe d’Acorn vient de concevoir son premier processeur Processeur Un microprocesseur. et il se trouve que c’est le processeur Processeur Un microprocesseur. le plus efficace du monde.
Il est maintenant temps de créer un ordinateur autour de ce nouveau processeur Processeur Un microprocesseur. , mais l’équipe technique d’Acorn devrait gérer ça très bien ! Il s’agira ensuite de le vendre, mais l’équipe marketing d’Acorn devrait gér… Ah, non, attendez…

La non poussée d’Archimedes

Le nouvel ordinateur d’Acorn est lancé en 1987 : c’est l’Archimedes. Il est décliné en plusieurs versions, et il utilise le processeur Processeur Un microprocesseur. ARM, qui a encore été amélioré depuis les prototypes.

L’ARM n’est pas seulement économe, il est aussi très, très rapide. Au moment de son lancement, il est six à sept fois plus performant que les Amiga et Atari alors disponibles sur le marché. Et il est surtout deux fois plus performant que les PC construits autour du tout nouveau processeur Processeur Un microprocesseur. Intel 80386, tout en restant moins cher.

Technologiquement, Acorn plane très loin au-dessus de tous les autres. Les seuls ordinateurs comparables à l’Archimedes sont des stations de travail professionnelles qui ne se situent pas du tout dans la même gamme de prix.

Si le monde était bien fait, l’Archimedes aurait été un carton international. Mais ça n’a pas été le cas. Il a eu une carrière plutôt honorable au Royaume-Uni, malgré la fin du partenariat avec la BBC.

Ailleurs, c’était probablement trop tard : pratiquement personne n’avait entendu parler d’Acorn, et le paysage informatique était déjà suffisamment encombré de PC, Apple, Amiga, Atari… Au fil des ans, l’écart de performances entre l’ARM et ses concurrents s’est réduit, voire inversé.

Il demeure le processeur Processeur Un microprocesseur. le moins gourmand en électricité, et de loin, mais quel intérêt pour le public ? Deux ou trois watts de plus ou de moins, ça ne change pas grand-chose à la consommation totale d’un ordinateur. Et à l’époque les questions d’impact énergétique du numérique sont très, mais alors très très loin des préoccupations des fabricants et des utilisateur..ices.

Pom, pom, pomme

Pendant ce temps, chez Apple, on travaille sur un concept très novateur : le Newton, un ordinateur de poche, fonctionnant sur piles, et dont la face avant est presque entièrement occupée par un écran tactile. Oui, c’est une tablette avant l’heure !

Seulement voilà : comment réduire la consommation d’énergie pour que l’appareil puisse fonctionner sur piles pendant une durée convenable ? Apple a notamment besoin d’un processeur Processeur Un microprocesseur. très économe. Pour un appareil de poche, un watt de plus ou de moins, ça représente une différence d’autonomie énorme.

Sans le savoir, avec l’ARM, Acorn avait donc créé le processeur Processeur Un microprocesseur. idéal pour les machines qui fonctionnent sur piles ou sur batteries. Des discussions s’engagent avec Apple. En 1990, Acorn crée une nouvelle société qui sera uniquement en charge des processeurs : Arm® Ltd. À cette occasion, le sigle ARM est redéfini et signifiera désormais Advanced RISC Machine.

Acorn n’est plus qu’un fabricant d’ordinateurs qui utilise les processeurs produits par Arm. Un arrangement est trouvé entre Arm et Apple : Arm ne fabriquera pas le processeur Processeur Un microprocesseur. du Newton, mais il le concevra. Apple payera une licence et se chargera de la fabrication.
L’Apple Newton sortira en 1993 et sera un échec commercial, mais chez Arm, on réfléchit. Finalement, se contenter de concevoir des processeurs, vendre des licences et laisser les autres s’occuper de l’aspect industriel de la fabrication, c’est plutôt confortable et rentable…

%&£@$ de processeur Processeur Un microprocesseur. 
de *# %&§ !

Comment est-ce qu’on fait, pour créer un processeur Processeur Un microprocesseur.  ? On trace le plan d’un circuit électronique, on l’envoie à une usine de composants pour le réaliser, et puis c’est tout ?

Non, il y a d’autres étapes.
Tout d’abord, il faut définir le jeu d’instructions, c’est-à-dire le type d’opérations que le processeur Processeur Un microprocesseur. devra comprendre : « va chercher la valeur de cette variable dans la mémoire vive », « additionne ces deux nombres », « copie le résultat à tel endroit de la mémoire », ce genre de choses.

Il y en a en général quelques dizaines ou centaines. Ensuite, en effet, on établit le plan du circuit et on fabrique une puce correspondant à ce plan. Il faut ensuite créer les compilateurs, c’est-à-dire les programmes qui permettent de transformer un code source en un programme que le processeur Processeur Un microprocesseur. peut comprendre et exécuter.

Enfin, il faut tester la puce obtenue, c’est-à-dire écrire une série de programmes qui vont vérifier que le processeur Processeur Un microprocesseur. réalise correctement toutes les opérations qu’il est censé savoir faire, et dans toutes les conditions possibles. Cet aspect est très important : il vaut mieux se rendre compte de la présence d’un défaut dans le processeur Processeur Un microprocesseur. avant d’en fabriquer des centaines de milliers d’exemplaires.

Pour Apple, Arm avait assuré la définition du jeu d’instructions, le design du circuit et les tests. Apple se chargeait seulement de la fabrication. Arm va ensuite pouvoir pousser le principe encore plus loin avec Digital Equipment Corporation (DEC), qui est au début des années 1990 le deuxième plus grand constructeur informatique au monde. DEC fabrique ses propres processeurs, très haut de gamme. Dessiner des circuits ne lui fait pas peur. Ce qui intéresserait DEC, c’est d’acheter une licence à Arm uniquement pour son jeu d’instructions, son compilateur et sa suite de tests.

Arm accepte évidemment, mais… Comment dire ? Vous avez maintenant compris qu’Acorn et Arm sont avant tout des sociétés de bricoleureuses. De génie, certes, mais de bricoleureuses tout de même. Alors, oui, il existe des suites de tests pour leurs processeurs, mais ce sont des bouts de programmes qui traînent ici ou là, écrits par n’importe qui ayant cinq minutes à perdre dans leurs bureaux, éparpillés sur des disquettes ou sur le disque dur d’un vieux BBC Micro dans le fond d’une armoire.
Arm va refiler tout ça en vrac à DEC, qui est un peu surpris. Certains programmes de test affichent des insultes lorsqu’un processeur Processeur Un microprocesseur. n’est pas conforme, ce qui faisait probablement rire tout le monde chez Acorn en 1985, mais ce que DEC ne trouve pas très professionnel.

Bien entendu, loin de nous l’idée de dénoncer publiquement qui que ce soit, mais enfin celui qui utilisait plein de grossièretés dans ses programmes, c’était Hugo Tyson. Il a dû se justifier en expliquant que, étant donné la mémoire limitée des ordinateurs de l’époque, il était parfois nécessaire de recourir à des descriptions d’erreur concises et évocatrices, du genre : « Fucked up. »

You’re in the ARMy now !

Le processeur Processeur Un microprocesseur. StrongARM, fabriqué par DEC, sortira en 1995. Arm a terminé sa transition vers ce qu’elle est aujourd’hui : une entreprise qui spécifie comment un processeur Processeur Un microprocesseur. doit fonctionner et qui développe les logiciels qui permettent de vérifier qu’un processeur Processeur Un microprocesseur. correspond à 100 % à cette spécification.

À vrai dire, la question des tests de processeurs est tellement cruciale et complexe qu’elle constitue maintenant l’essentiel de l’activité d’Arm. Ce qu’un fabricant de processeurs achète aujourd’hui à Arm, c’est avant tout l’assurance de produire des processeurs qui fonctionneront parfaitement.

Avec le développement de l’informatique de poche (d’abord les assistants personnels, comme le Newton, puis les smartphones et tablettes), un gigantesque marché s’est ouvert pour Arm. Même Intel a fini par acheter des licences et produire des processeurs ARM.

Quel que soit votre téléphone, il est équipé d’un processeur Processeur Un microprocesseur. ARM.

L’énergie devenant une question de plus en plus délicate, les processeurs ARM commencent à se répandre aussi dans les serveurs. Les nouveaux processeurs Apple, qu’on trouve dans les MacBook ? Ce sont des processeurs ARM aussi.

Dans les téléphones, dans les ordinateurs, dans les consoles de jeu, dans les serveurs… Aujourd’hui, le monde croule sous les ARM, et c’est toujours à Cambridge qu’on les conçoit.

Une morale réconfortante

L’histoire de l’informatique a parfois ceci de désespérant qu’elle ne couronne pas toujours les meilleurs. Ce ne sont pas systématiquement les technologies les plus efficaces ou les plus intéressantes qui finissent par s’imposer. Ce sont plus souvent le marketing et la puissance financière qui font la différence.

Il y a donc quelque chose de réjouissant dans le succès actuel de l’architecture ARM. Le bilan d’Acorn en tant que fabricant d’ordinateurs est mitigé. Leurs machines étaient brillantes, largement au dessus du lot, et pourtant ce sont sur les médiocres IBM PC et leurs clones que le public s’est jeté.

Des années plus tard, après un twist de scénario prodigieux et inattendu, les qualités de l’ARM sont enfin pleinement reconnues. C’est la revanche tardive des bricoleureuses de génie.

Les processeurs ARM pourraient bien, à terme, supplanter totalement ceux conçus selon l’architecture d’Intel. Une autre technologie pourrait-elle débarquer ? Oh, mais elle est déjà là… Seulement elle est encore discrète, à l’arrière-plan.

Quand on parle d’open source dans le domaine informatique, on pense évidemment aux logiciels. Cependant, le principe de l’open source peut s’appliquer également au matériel. En ce moment même, l’université de Californie à Berkeley conçoit une nouvelle architecture de processeur Processeur Un microprocesseur.  : le RISC-V. Si vous avez lu tout cet article avec attention (bravo), vous vous rappelez que c’est cette université qui a inventé le principe même du RISC : des processeurs qui savent faire peu de choses mais qui les font très vite. Et c’est ce principe qui avait ensuite été mis en application par Acorn.
L’histoire est facétieuse.

L’architecture RISC-V est un standard ouvert : n’importe quel fabricant peut produire un processeur Processeur Un microprocesseur. RISC-V en utilisant des directives de conception, des suites de tests et des compilateurs librement accessibles. Des processeurs sont déjà commercialisés ainsi que des developer boards, c’est-à-dire des prototypes d’ordinateurs. Vous pouvez même les utiliser avec votre version de Linux Systèmes d’exploitation 
Système d’exploitation 
systèmes d’exploitation
système d’exploitation
Operating System
iOS
Android
Windows
Linux
macOS
Un système d’exploitation consiste en un logiciel qui permet à une machine d’exécuter d’autres logiciels. Windows, macOS ou Linux sont des systèmes d’exploitation pour les ordinateurs. iOS et Android sont des systèmes d’exploitation utilisés par les smartphones.
préférée.

De la même façon que l’open source a profondément changé le monde du logiciel, on va peut-être assister dans quelques années à un grand bouleversement dans le domaine du matériel informatique. Mais peut-être que vous ne le verrez pas, car c’est surtout à Cambridge que des gens vont râler…

[1Processeur : Un processeur est un composant présent dans de nombreux dispositifs électroniques qui exécute les instructions machine des programmes informatiques. Avec la mémoire, c’est notamment l’une des fonctions qui existent depuis les premiers ordinateurs. Un processeur construit en un seul circuit intégré est un microprocesseur. (Wikipedia)

[28 bits (Architecture 8 bits) : Désigne la faculté pour un processeur de traiter en une fois 8 bits, soit 1 octet, de données en une seule opération.

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