Numéro 2

Combien de serpentins pour un cumulus de 75 litres ?

À travers l’étude du fonctionnement de wiki.lowtechlab.org, cet article déplie les conditions sociales et idéologiques des pratiques et communautés low-tech, qui cherchent à construire des technologies frugales, douces, adaptées à la crise écologique. Lecture-écriture 
d’une communauté en construction autour du partage de tutoriels 
et bonnes pratiques basses technologies.

Derrière ce titre nébuleux qui aurait pu aussi se nommer « volets battants bois ou couverture de survie », « comparer mouche soldat et lombrics » ou encore « 5v pour moteurs 12/24v ? » ne se cache rien d’autre qu’un simple message posté par une auteurice anonyme le 14 mars 2023 sur le forum du wiki de l’association française Low-tech Lab.

Initiée en 2014, le Low-tech Lab vise à promouvoir et sensibiliser les démarches dites low-tech qu’elle qualifie comme « des objets, des systèmes, des techniques, des services, des savoir-faire, des pratiques, des modes de vie et même des courants de pensée, qui intègrent la technologie selon trois grands principes : Utile. Accessible. Durable.  » S’il s’agissait initialement de promouvoir le do-it-yourself, l’association travaille également avec plusieurs grandes entreprises autour de « l’innovation low-tech » et cultive un rapport ambigu à cette notion. « Innovation low-tech » , le terme fait tiquer. Si, depuis le 20e siècle, notre société dite occidentale attribue la condition du progrès économique et social à l’innovation, les low-tech seraient-elles la solution technique « durable » à l’ère du capitalocène capitalocène « Ère du capitalisme » est un concept qui définit le capitalisme 
en tant que système économique 
et organisation sociale du monde comme principal responsable des dérèglements environnementaux actuels – et non l’humanité dans son ensemble comme le définit l’anthropocène.  ? Cette croyance autrement appelée « technosolutionnisme » dépolitise la technique en transformant l’état du monde en une équation que les ingénieures seraient à même de résoudre.

Dès lors, comment le wiki mis en place par le Low-tech Lab, pourtant présenté comme un outil collaboratif qui vise à partager des tutoriels de systèmes bricolés, véhicule-t-il un discours d’innovation situé socialement ? À travers un arpentage du wiki, il s’agira de se demander ce que la technique raconte, qui parle à travers elle et ce que ces discours traduisent et produisent.

What I Know Is

Le wiki (acronyme de What I Know Is) est un système de gestion de contenu collaboratif mis en place par Ward Cunningham en 1995 qui vise initialement à faciliter la communication entre les développeureuses de logiciels. L’idée centrale est de proposer un espace de partage et de mutualisation des connaissances : chaque contributeurice peut lire mais aussi écrire des pages, et le recours à l’hypertexte permet de faire des renvois entre les articles. En rupture avec les modes de publication statiques, le wiki incarne un dispositif éditorial issu du web 2.0 né au début des années 2000. Aussi qualifié de social, il se caractérise par la forte participation des internautes qui s’approprient les technologies web pour créer et publier du contenu (à l’instar des blogs).

En trente ans, le wiki en tant que système de gestion de contenu, dont le plus connu est MediaWiki (popularisé par Wikipédia), semble avoir diffusé l’imaginaire de l’édition et de la publication collaborative sur le web. Lorsque Ward Cunningham développe sa première forme WikiWikiWeb et partage publiquement le code de son logiciel, celui-ci se voit utilisé, copié, modifié et redistribué par les développeureuses de la communauté FOSS (free and open source software). Le wiki du Low-tech Lab, lui, fonctionne avec le logiciel Dokit, que la société éponyme décrit comme « une plateforme collaborative qui permet à toute entreprise de partager des instructions, des manuels ou des bonnes pratiques de manière intuitive et visuelle ». Dokit est en partie écrit depuis le logiciel open-source MediaWiki.

Si le wiki du Low-tech Lab est un espace d’écriture collaboratif, il revêt la particularité d’assurer le partage de savoirs en train de se faire, ce qui en fait un lieu d’entraide et de mutualisation des expériences.

Outiller une communauté de savoir

Sur ce wiki se partagent des pratiques de construction, de bricolage, de hacking, de cuisine, expérimentées par les contributeurices qui mettent à profit leurs compétences techniques en documentant leurs processus de fabrication. Les contributeurices forment une « communauté de pratiques », concept théorisé par Étienne Wenger désignant un groupe d’individues qui partagent un intérêt commun où les interactions sociales en son sein motivent l’expérimentation et la formation d’expertises en devenir. Le wiki du Low-tech Lab constitue ainsi une « communauté de savoirs » bâtie autour de la mutualisation d’expériences individuelles qui acquièrent le statut d’expertises une fois publiées et lues. L’espace des commentaires devient ainsi le pivot permettant aux lecteurices d’échanger avec les contributeurices. À cet effet, il est mentionné : « Si vous avez utilisé un tutoriel de la plateforme pour construire un système, merci d’utiliser le bouton “Je l’ai fait” et d’utiliser la section “Commentaires” pour partager vos adaptations. Ces retours sont très précieux pour la communauté ».

(Géo)politiques du low-tech

Mais de quoi cette communauté est-elle le nom ? Une modeste ethnographie du site révèle les disparités géographiques, sociales et économiques des personnes inscrites. L’onglet « Groupes » affiche les différentes communautés locales, présentes en France, au Québec, aux États-Unis, en Polynésie française, au Cameroun, au Sénégal, et au Maroc. Ces quatre dernières communautés, liées à la France par leur subordination coloniale et impérialiste, n’ont pas publié de tutoriels à ce jour. La diversité des contextes d’inscription des groupes locaux éclaire leurs motivations ; entre celle..ux présentes par contrainte et celleux qui ont le privilège de les choisir.

Du côté des contributeurices qui mentionnent leur identité dans leur « biographie », on constate un très grand nombre d’ingénieures qui remettent en question leur profession, par exemple : « Guillaume, Je suis développeur de logiciels en tous genres […] Je mène une transformation pour me diriger vers des projets low-tech. », « Charly, ingénieur en mécanique en quête de sens, triathlète amateur à mes heures perdues » ou encore « Ninon, une nana que des facilités pour les chiffres poussera vers des études puis une carrière scientifique, orientées “énergie” mais qui en “grandissant” a décidé de changer de vie pour se lancer dans l’artisanat français, local et solidaire avec l’envie de participer au changement à son échelle ». En somme, des individues au statut social et financier privilégié qui leur accorde la possibilité de bifurquer.

Tandis que « les pratiques mises en valeur sont très proches des cultures du bricolage liées au monde ouvrier ou aux foyers à faibles revenus », « la diffusion de la low-tech peine encore à trouver sa composante populaire », constatent à ce propos Gauthier Roussilhe et Quentin Mateus, deux partisans de la low-tech en France, dans leur livre Perspectives low-tech.

Disparités de genre

Il n’est pas étonnant non plus de remarquer une présence davantage masculine sur le wiki étant donné le faible pourcentage féminin dans les filières d’ingénieures. Ainsi, sur les 100 derniers tutoriels modifiés, 19 ont été créés par des femmes, dont 12 par la même autrice, contre 29 rédigés par des hommes. S’ils se rangent majoritairement sous la catégorie alimentation, les premiers recouvrent les thématiques de santé et d’hygiène, tandis que les seconds ciblent plus généralement l’énergie et l’habitat. Tandis que la publication/réception de pratiques dites « low-tech » par un autorat/lectorat d’un genre féminin s’effectue aisément sous d’autres noms dans divers espaces, ce déséquilibre relatif au genre interroge la production située de discours associés au low-tech, susceptibles d’accorder un sentiment de légitimité et d’assurer la possibilité de rendre public sur le wiki un savoir issu d’une expérience individuelle.

Le nerf du low-tech

Les 46 autres contributions proviennent de groupes locaux du Low-tech Lab ou d’autres associations dont on ne connaît pas la composition. Les tutoriels les plus aimés et les plus « faits » sont quasiment exclusivement publiés par le Low-tech Lab. Leurs tutoriels ont été les premiers téléversés, ils sont clairs, très documentés, comprennent différents media, traduits dans plusieurs langues, et bien maintenus, geste inhérent aux systèmes low-tech. Ce « succès » qui nécessite un temps conséquent d’investissement semble résulter de la rémunération des membres de l’association.

Au regard des contributeurices, le wiki paraît tisser des liens entre différents groupes locaux plutôt qu’entre individues isolées. Malgré son fonctionnement « ouvert », l’acte de contribution se heurte aux inégalités économiques, de genre, de classe et d’occupation de l’espace numérique à l’échelle Nord-Sud.

Tutorialiser la réalisation des low-tech

Le wiki du Low-tech Lab repose sur le partage de la documentation en pair à pair des processus de fabrication des objets. L’acte de documenter suppose un engagement de la part des contributeurices qui exige de détailler les étapes, les outils, les matériaux nécessaires aux différentes constructions, le tout rédigé dans un langage aisément compréhensible par celle..ux désirant s’essayer à leur tour à leur fabrication. Ces caractéristiques techniques favorisent ainsi la réciprocité entre les lecteurices/contributeurices, dynamique inhérente à la logique de don et de contre-don propice au développement d’une communauté.

Le tutoriel, mode de documentation choisi, consiste en une suite d’instructions permettant de réaliser une tâche de manière autonome. Ces tutoriels fonctionnent sur le modèle du mode d’emploi en y intégrant un fonctionnement interactionnel par l’ajout de commentaires, de suggestions ou de traductions. Pour contribuer, il est conseillé de suivre le « Tuto des tutos » d’une durée de lecture de 20 minutes, disponible uniquement en français, anglais et espagnol, qui prescrit les manières d’ajouter un nouveau tutoriel. Cette tutorialisation de réalisations individuées s’inscrit dans la culture du DIY (Do It Yourself), politisé par la sous-culture punk dans les années 70.

Utiliser l’open source pour cosmo-localiser les systèmes low-tech

Le Low-tech Lab se place dans la lignée du mouvement open-source en en faisant un de ses principes d’action, affiché sur leur site : « Parce que l’intelligence commune doit revenir au commun, parce que chacun doit pouvoir accéder à ces solutions et parce qu’il est nécessaire et urgent d’encourager l’innovation incrémentale, le fruit des actions est partagé de manière libre sous des licences Creative Commons Creative Commons
CC
Creative Commons (CC) est une association à but non lucratif dont la finalité est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays, jugés trop restrictifs. L’organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de licences Creative Commons. Ces licences, selon leur choix, ne protègent aucun ou seulement quelques droits relatifs aux œuvres. Le droit d’auteur (ou « copyright » dans les pays du Commonwealth et aux États-Unis) est plus restrictif. (Wikipédia)
 »
. L’open source découle des logiciels libres Logiciels libres Les logiciels libres laissent la liberté aux utilisateurices d’utiliser le programme, mais aussi de le copier et le distribuer. Les utilisateurices ont aussi le droit et la liberté d’en étudier le fonctionnement, de l’adapter à leurs besoins et de partager leurs modifications. On les appelle ainsi en opposition aux logiciels dits propriétaires, qui ne peuvent être partagés, modifiés ou utilisés à d’autres fins que celles strictement prévues par les concepteurices. On les différencie aussi des logiciels open source dont le code est lui aussi accessible, mais moins pour assurer des libertés fondamentales aux utilisateurices que pour en faciliter le développement. qui en prescrivant l’ouverture du code source des logiciels à autrui, s’opposent aux logiciels dits propriétaires qui « cherchent à généraliser les principes du hacking et à casser la dichotomie entre l’ingénieur et l’usager, écho de la séparation entre producteurs et consommateurs » comme le mentionne Sébastien Broca dans son ouvrage Utopie du logiciel libre. L’open source se distingue du mouvement social libriste Libriste Personne attachée aux valeurs, culture et usages associés aux logiciels libres. Ces personnes peuvent participer à leur promotion, leur fabrication, leur diffusion, à l’assistance des utilisateurices ou simplement les utiliser. par sa tendance managériale, perçue comme une « méthodologie de développement » où la coopération devient garante de meilleurs résultats et porteuse de potentiel économique. En revendiquant l’open source, le Low-tech Lab préfère « rendre la low-tech compatible avec l’écosystème industriel et institutionnel existant pour profiter d’une diffusion massive » plutôt que de « porter une vision politique de la low-tech où les savoirs techniques se socialisent et se diffusent “par le bas” », deux perspectives de la low-tech mentionnées par Gauthier Roussilhe et Quentin Mateus.

Rappelons que ce wiki est un outil du Low-tech Lab, initié par Corentin De Chatelperron, jeune ingénieur breton issu d’une famille bourgeoise et membre de la Société des Explorateurs Français. Alors qu’il travaille sur des projets de « développement » au Bangladesh, il décide de mener une expédition de 6 mois vers les îles « désertes » du golfe du Bengale et échoue dans sa quête d’autonomie en mer. Outre un énième exemple d’un jeune homme privilégié et naïf qui pense pouvoir survivre seul en mangeant des racines, cette expédition situe son engouement pour l’autonomie individuelle, idéal masculin occidental de dépassement personnel qui nécessite de nier toute vulnérabilité propre. Il souhaite « booster l’innovation » par la low-tech pour que n’importe qui dans le monde puisse choisir parmi un panorama de techniques en « fonction de leurs ressources et de leur vision du progrès ». À travers ce discours, la low-tech n’est rien d’autre, si ce n’est un produit de plus, qu’une « solution » technique qui vise à libérer les individues des conditions matérielles produites par un système social et politique, plutôt que de chercher à le défaire.

Une « alternative », basée sur une idéologie hégémonique

C’est cette vision libérale des low-tech que mettent en lumière Cristophe Abrassart, Fançois Jarrige et Dominique Bourg dans le numéro cinq de la revue La pensée écologique consacrée au Low Tech : « L’enjeu des Low-Techs n’est pas de juxtaposer aux technologies industrielles dominantes d’inoffensives alternatives "douces", en bref il ne s’agit pas d’inventer de nouveaux marchés pour des innovations vertes et responsables, cela reviendrait à créer un nouveau marché de niche pour consommateurs et ingénieurs inquiets. » Le développement de la low-tech répond alors à la notion de résilience, que Thierry Ribault qualifie dans son livre Contre la résilience, à Fukushima et ailleurs, « [d’]idéologie de l’adaptation » et de « technologie du consentement ».

Le wiki du Low-tech Lab repose sur l’open source pour « cosmo-localiser » la production des low tech, c’est-à-dire « partag[er] les technologies au niveau global pour les stimuler au niveau local ». Or les solutions locales dépendent de ressources, de conditions matérielles et environnementales particulières (réaliser un frigo du désert à Bruxelles nécessite d’acheter du sable pour aquarium, les bâches géotextile ne sont pas disponibles au Togo, etc.). Cette volonté de forker fork
forker
(de l’anglais : fourchette, bifurcation, objet à plusieurs branches) Principalement utilisé avec le logiciel Git, un fork désigne une duplication d’un projet ou d’un fichier par un usager dans son espace nominatif, afin d’y apporter publiquement ses propres modifications ou ajouts. Le fork contribue en général à l’amélioration d’un logiciel ou d’un code, sans écraser le projet d’origine.
, c’est-à-dire de reprendre et de modifier des « solutions low-tech » fait face à la complexité et à la diversité des contraintes auxquelles elles sont supposées répondre. La majorité des tutoriels présentés par le Low-tech Lab sont issus du programme financé Nomades en mer, qui « explore » le monde à bord d’un voilier afin de recenser sur la plateforme les différentes « solutions » locales rencontrées. Les savoirs expérientiels des usager..es sont ainsi déplacés, décontextualisés, réappropriés et étiquetés « low-tech », avant d’être diffusés sur la plateforme sous licence Creative Commons Creative Commons
CC
Creative Commons (CC) est une association à but non lucratif dont la finalité est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays, jugés trop restrictifs. L’organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de licences Creative Commons. Ces licences, selon leur choix, ne protègent aucun ou seulement quelques droits relatifs aux œuvres. Le droit d’auteur (ou « copyright » dans les pays du Commonwealth et aux États-Unis) est plus restrictif. (Wikipédia)
.

Ce geste de collecte et de publication n’est pas sans évoquer une forme d’extractivisme des savoirs que le chercheur Baptiste Godrie qualifie de « processus par lequel […][des] savoirs expérientiels sont décontextualisés des écosystèmes complexes dans lesquels ils sont énoncés et élaborés, pour être mis en forme et incorporés dans d’autres contextes où ils sont mobilisés au service de finalités éloignées, voire contraires à celles qui président à leur énonciation et leurs contextes de production ». Longtemps dévalorisés, au détriment du développement de la science et de l’idéologie du progrès, les pratiques populaires européennes et les savoir-faire des pays colonisés regagnent l’intérêt des ingénieures occidentauxles qui commencent à constater que notre mode de vie capitalo-centré mène à une impasse. « La crise écologique et l’Anthropocène seraient-ils les nouvelles expressions du "fardeau de l’homme Blanc" à sauver "l’Humanité" d’elle-même ? » résume Malcolm Ferdinand.

Si la licence Creative Commons Creative Commons
CC
Creative Commons (CC) est une association à but non lucratif dont la finalité est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays, jugés trop restrictifs. L’organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de licences Creative Commons. Ces licences, selon leur choix, ne protègent aucun ou seulement quelques droits relatifs aux œuvres. Le droit d’auteur (ou « copyright » dans les pays du Commonwealth et aux États-Unis) est plus restrictif. (Wikipédia)
BY (qui nécessite d’attribuer l’auteurice « originale ») appliquée à tous les tutoriels n’empêche pas leur réappropriation commerciale, le geste même d’employer une licence libre Creative Commons Creative Commons
CC
Creative Commons (CC) est une association à but non lucratif dont la finalité est de proposer une solution alternative légale aux personnes souhaitant libérer leurs œuvres des droits de propriété intellectuelle standard de leur pays, jugés trop restrictifs. L’organisation a créé plusieurs licences, connues sous le nom de licences Creative Commons. Ces licences, selon leur choix, ne protègent aucun ou seulement quelques droits relatifs aux œuvres. Le droit d’auteur (ou « copyright » dans les pays du Commonwealth et aux États-Unis) est plus restrictif. (Wikipédia)
universalise la propriété intellectuelle. Pourtant, cet outil juridique repose sur une distinction ontologique occidentale fondée sur l’idée que l’on peut séparer et hiérarchiser ce qui relève du culturel de ce qui se trouve à l’état de « nature » rendue appropriable par le travail. Ce geste questionne les limites de l’accès ouvert Open access
Accès Ouvert
Open access (OA)
AO
OA
L’Open Access (OA) ou Accès Ouvert (AO) peut être défini par la mise à disposition gratuite sur l’Internet public de documentation scientifique issue de la recherche. Souvent financée par des fonds publics, ces recherches sont la plupart du temps diffusées avec des accès payants et des tarifs très élevés par les revues à comité de lecture qui les publient. Les publications à accès ouvert ne sont donc pas libres, on ne peut pas modifier ou redistribuer les contenus, mais ceux-ci deviennent néanmoins gratuits. Ce mouvement de publication a vu le jour pour permettre l’accès au savoir scientifique au plus grand nombre.
inconditionnel issu de la philosophie de la culture libre, pouvant porter préjudice aux populations marginalisées.

Socialiser la technique ?

Ce wiki donne à voir une compréhension étroite de la technique que la forme du tutoriel réduit à une suite d’opérations matérielles documentées, diffusables, reproductibles et réappropriables. Le wiki du Low-tech Lab comme les systèmes qualifiés de low-tech montrent que la technique résulte et produit des agencements de matériel, de social et de discours qui, dans ce cadre, se situent dans les pays dits du Nord, et émanent d’individus masculins socialement privilégiés. Tandis que ce wiki prône une cosmo-localisation des pratiques, il procède par là même, à une opération d’universalisation du discours, faisant de l’open source et des low-tech les moteurs d’une quête d’autonomie individuelle. Cette approche universaliste conduit à décontextualiser, s’approprier, valoriser voire capitaliser des systèmes locaux en omettant les particularités situées de perception et d’utilisation des techniques ; la pluralité de manières de percevoir la matière au sein d’une technique, de composer avec les forces, les matériaux, et les gestes, rompant avec la dualité moderne entre personnes et choses. Ce déplacement de contexte affirme la nécessité de prêter attention aux systèmes de valeurs qui imbibent et émergent des gestes techniques.

Marie, contributrice, souhaiterait que les tutoriels servent à comprendre la technique plutôt qu’à réaliser un objet singulier, affirmant ainsi que c’est l’acquisition des compétences et connaissances « de base » qui permet de s’autonomiser, individuellement et collectivement. Ce sont donc les conditions de réception et de réalisation du tutoriel qu’il s’agirait d’étudier.

À l’individualisme connecté, préférons connecter les individues, et au Do It Yourself, le Do It With Others.

Pour aller plus loin

Le wiki du Low-tech Lab 
wiki.lowtechlab.org/wiki/Accueil

Sur les low-tech 

  • Abrassart, Christophe., Jarrige, François., et Bourg, Dominique. « Introduction : Low-Tech et enjeux écologiques – quels potentiels pour affronter les crises ? », 
La Pensée écologique, vol. 5, n°1, 2020.
  • Grimaud, Emmanuel., Tastevin, Yann Philippe., et Vidal, Denis. « Low tech, high tech, wild tech. Réinventer la technologie ? »Techniques & Culture, vol 67, pp. 12-29, 2017
  • Meyer, Mathilde. « Expérimenter et rendre désirables les low tech. Une pragmatique de la documentation ». Réseaux, vol 235, n°5, pp. 219‑249, 2022.
  • Roussilhe, Gauthier., Mateus, Quentin. Perspectives low-tech, Divergences, 2023.

Sur la propriété intellectuelle et les savoirs locaux

  • Anderson, Jane. Indigenous/traditional knowledge & intellectual property, Center for the Study of the Public Domain, Duke University School of Law, 2010.

Sur les communautés de pratique et de savoir 

  • Stassin, Bérengère. « Wiki Trans : une communauté de savoir sur la transidentité », Communication, technologies et développement, vol. 9, 2021.
  • Boutroy, Éric. « Un wikipedia de la randonnée légère ». Savoir-faire en libre accès au sein d’une communauté de pratique en ligne, Ethnologie française, 
vol 52, pp 91‑106, 2022.
  • Broca, Sébastien, Utopie du logiciel libre, Le passager clandestin, 2018.

Sur la résilience

  • Ribault, Thierry. Contre la résilience, À Fukushima et ailleurs, 
L’Échappée, Paris, 2021.