La dissémination des technologies numériques constituerait une « singularité », « un événement qui change les choses de manière si fondamentale qu’il n’y a pas de retour en arrière ». C’est dans un texte publié en 2001 que Marc Prenski invente le terme de Digital Natives, les natif
ves numériques. Baignant dès l’enfance dans un environnement peuplé par le numérique, où l’information est abondante, les écrans omniprésents – iels seraient les autochtones d’un nouveau monde. Prenski poursuit l’analogie en désignant les personnes nées avant 1984 comme des immigrant es numériques. Contrairement aux natif ves, les immigrant es ont « l’accent » de l’ancien monde et doivent assimiler la nouvelle langue et les usages associés.La disposition des natif
ves au travail multitâche et leur attention fragmentée constituaient pour Prenski une invitation pressante à repenser le modèle pédagogique. Pour s’adapter à ces « nouveaux étudiants » l’école devrait délivrer un enseignement individualisé et gamifié, en partie médié par des programmes et des jeux vidéo, des dispositifs non-linéaires, dans lesquels chacun e peut aller, dans son coin, à son rythme. Prenski a depuis prêché ses visions technosolutionnistes de l’éducation à travers une dizaine d’essais et de conférences.Cette lecture générationnelle reste encore mobilisée au quotidien. Même si elle n’est pas nommée telle quelle – elle est peut-être la réponse la plus spontanée pour expliquer dans notre société une distribution inégale des savoir-faire numériques. Cependant, le facteur générationnel ne suffit pas à expliquer les disparités qui subsistent au sein de la génération des « natif
ves ». Comme ailleurs, des réalités sociales plurielles cohabitent. Le taux et le type d’équipement varient selon de nombreux facteurs. Le niveau de revenu, d’éducation et la composition familiale modèlent les possibilités d’accès et d’apprentissage des outils numériques.Comme l’explique le Baromètre de l’inclusion 2022, « La diffusion des technologies numériques n’a pas automatiquement amené toutes les jeunes générations vers des niveaux d’accès et de compétences numériques similaires ». Selon le même rapport, en Belgique, 33 % des 16-24 ans possèdent des « compétences numériques faibles », contre 39 % au niveau national. Les compétences sont évaluées au regard de cinq domaines : l’information, la communication, la création de contenu et la résolution de problèmes. L’inégalité d’accès aux équipements reste encore forte et touche davantage les moins diplômé
e s. En 2021, par exemple, le smartphone était, pour 17 % des internautes belges, l’unique accès à internet.