Curseurs : Comment la question des logiciels libres Logiciels libres Les logiciels libres sont des logiciels dont les utilisateurices ont la liberté d’utiliser le programme, de le donner à d’autres et de le copier. Les utilisateurices ont aussi le droit et la liberté d’en étudier le fonctionnement et de l’adapter à leurs besoins et partager leurs modifications. On les appelle ainsi en opposition aux logiciels dits propriétaires, qui ne peuvent être partagés, modifiés ou utilisés à d’autres fins que celles prévues. On les différencie aussi des logiciels open source, dont le code est lui aussi accessible, mais moins pour assurer des libertés fondamentales aux utilisateurices que pour en faciliter le développement. s’est-elle posée pour toi, en tant qu’enseignant de typographie à La Cambre ?
Pierre Huyghebaert : À l’époque où j’arrive à La Cambre, l’école est dans une logique professionnalisante qui ne dit pas son nom, qui ne se pense pas comme telle. On y enseigne la suite Adobe et toute une série de logiciels métiers, le web WEB Le web est un protocole spécifique de l’internet, permettant au départ d’accéder à des sites web ou des ressources spécifiques, notamment au travers d’un système d’hyperliens renvoyant vers ces ressources. est peu pensé. Moi, j’apporte une pratique du logiciel libre.
Lors de réunions avec d’autres profs et intervenantes, l’échange se réduit alors malheureusement à une opposition parfois caricaturale entre « Mac » et « logiciel libre », une dualité qui met très peu le doigt sur les pratiques, pourtant centrales et beaucoup plus larges. Je mets beaucoup de temps à m’équiper en termes d’argumentaire et j’ai, finalement, peu de débats. Mais mes pratiques mettent plusieurs collègues en question. Sans vraiment le vouloir, en amenant des alternatives, je clashe avec le modèle professionnalisant.
Les profs qui accompagnent des étudianx devenues artistes en leur apprenant la suite Adobe font valoir qu’iels sont arrivées à (sur)vivre du graphisme grâce à ces logiciels. Certaines me considèrent alors comme celui qui veut les mettre sur la paille. Ce n’est évidemment pas le cas. Moi, je fais valoir les parcours de celleux qui creusent plus loin, se forment à d’autres pratiques logicielles et qui, assez vite, sont privilégiées à l’embauche. Ce sont des gens qui ont appris à se débrouiller, mais ce n’est pas toujours visible. Il y a clairement des problèmes de compréhension de ce qui est réellement en jeu, au-delà du lien apparent entre « suite Adobe » et professionnalisme. Et donc, il y a eu beaucoup de discussions, beaucoup de temps perdu à ne pas poser les bonnes questions. Mais ce temps était sans doute incompressible, parce qu’il faut du temps pour produire ce discours, et il en faudra encore pour questionner les logiciels libres comme étant une solution universelle – ce qu’ils ne sont pas.
Ensuite, ce qui est venu introduire un flottement, fortuit mais beaucoup plus large, c’est le web, le rapport au code. À l’époque où je suis entré à La Cambre, le code, c’était ActionScript, le langage de programmation développé par Adobe pour créer des applications Flash. Il n’y avait aucune réflexion sur ses origines, ses conditions de production ou, plus largement, sur ce que fait ce code et les transformations que cela induit sur les pratiques artistiques. C’était abordé sur un mode tout à fait anecdotique. Aujourd’hui, les écoles d’art utilisent Processing, un environnement de développement libre sous la licence GNU GNU Abréviation en Anglais de « Gnu is Not Unix », le projet GNU est un projet de système d’exploitation libre initié par Richard Stallman en 1983. Jusqu’à la création du noyau Linux, développé indépendamment par Linus Torvald, le projet GNU manque cependant d’opérabilité pour interagir avec le matériel des machines. On parle de « GNU/Linux » pour caractériser l’association du système GNU et de ce noyau, permettant d’obtenir un système d’exploitation complet tel celui des différentes distributions Linux. General Public License (GNU GPL), mais beaucoup de discussions demeurent absentes.
Il y a quelques années, Michael Murtaugh a mis des mots très précis sur les problèmes posés par Processing, qui fonctionne en vase clos, comme si le code n’était pas transversal, contrairement à des langages comme Python ou Bash qui peuvent servir à tout. Quand je partage son article avec des collègues, je vois que j’attaque quelque chose de très difficile à démonter. Python, la console, le bash sont plus difficiles à attraper, moins lisibles, à la fois comme pratique pédagogique et comme pratique artistique.
Ces langages sont plus transversaux, car leurs origines sont entremêlées à toute l’histoire de l’informatique. Cette mise en perspective historique manque d’ailleurs souvent. S’il y en a une, c’est une vision romantique qui est véhiculée, avec des inventeurs, mâles, capitalistes, qui réussissent… Toute cette pile-là, nous sommes seulement en train de la déconstruire.
Certaines étudianx arrivent à articuler des mots… Il y a une dizaine d’années, dans une réunion pédagogique avec la direction, une étudiante en master a dit : « Moi, j’aurais aimé qu’on m’explique ce qu’est un pixel ». Cette souffrance-là, de ne pas comprendre les bases, les éléments essentiels, les origines, il y en a souvent. Avec une nouvelle génération de profs surtout, on essaie, avec nos petits moyens, d’adresser cela. Depuis 10 ou 5 ans, ça change pas mal, heureusement. Aussi par rapport à nous-mêmes, parce qu’en fait, c’est un long processus d’émancipation dans lequel nous sommes toustes à des endroits différents selon nos pratiques et notre histoire. Être prof permet aussi d’y réfléchir autrement, avec de nouvelles pratiques en face de soi.
En master de typographie, certaines questions sont particulièrement structurantes. Celle des licences, par exemple. Les étudianx qui produisent des fontes, par exemple avec des glyphes inclusifves, se demandent sous quelle licence les publier ou, plus précisément, quel accord, quel équilibre, quel échange trouver avec les futures utilisateurices.
En termes de licences libres Licences libres Voir Copyleft. Toute œuvre de l’esprit (livre, logiciel, etc.) est protégée en Belgique par le droit d’auteur, dont une partie ne peut jamais lui être retirée, comme son droit moral d’être reconnu comme l’auteurice de son travail. Cependant l’auteurice peut décider de placer son œuvre sous une licence libre, ou Copyleft, c’est-à-dire qu’iel donne l’autorisation gratuite, à toustes et par avance, de disposer de son œuvre pour tous les usages (étude, modification, diffusion et même rémunération). D’autres licences, comme celle que nous utilisons (la _Creative Commons CC BY-NC-SA 4.0_), sont partiellement libres, car l’autorisation accordée ne permet pas de revendre les contenus contre rémunération, mais seulement de les partager. Cette licence oblige aussi à mentionner, en cas de reproduction et diffusion, le nom de l’auteurice. Elle autorise la modification du contenu sous réserve que les modifications soient rendues visibles. , la version 3 de la licence libre GNU GPL, parue en 2007, s’est révélée relativement plus adaptée à la typographie que les précédentes. Elle a permis de mettre des mots, d’articuler des idées et de parler de logiciel libre à l’école. Mais elle a aussi des limites. Avec le projet « Bye Bye Binary », par exemple, nous offrons des fontes inclusives sous licences ouvertes, mais cela permet à des institutions, voire à des organisations commerciales, de faire du pink-washing ou du queer-washing à peu de frais, en utilisant leur image sans adhérer aux luttes qui traversent ces objets digitaux… Chez Constant asbl, Élodie Mugrefya critique la prétention d’universalité des licences libres, leur postulat implicite que toustes sont dans les mêmes capacités matérielles de réfléchir, produire des œuvres ou des travaux, alors que ce n’est majoritairement pas le cas.
Un système de rente récent
≠ : S’agissant du marché actuel de la typographie, il semble que nous basculons dans un système de rente, où les clients n’achètent plus une licence mais payent à l’affichage, ce qui implique des logiques de profilage des utilisateurices dès qu’iels affichent une page. Cela a toujours été comme ça ?
P : Non, c’est très très récent. La typographie occidentale, dès 1455, commence d’emblée sur un modèle capitaliste. Gutenberg se fait prêter de l’argent pour lancer sa start-up ! Sa compétence est de produire de très petits objets en métal, des mécanismes très précis, et de les produire à la chaîne, en grosse quantité et à très bas coût. Avant son invention des caractères mobiles, il vend à des milliers d’exemplaires un gadget, une sorte de petit périscope refermable, qui permet, croit-on, de capturer de loin la vue d’une relique et de la garder avec soi. Gutenberg obtient un financement et, à partir de là, les fonderies vendent la propriété physique des objets, les caractères mobiles.
Le terme « police » correspond à l’assurance que la fonte contient suffisamment de lettres dans une langue donnée pour composer un texte sans manquer de caractères. On ne compte pas les caractères et donc, on donne une assurance, une forme de licence déjà, par rapport à l’objet physique. Donc, pendant des siècles, pour produire une fonte, il faut certaines qualités très élevées de graveur et une chaîne de production, une puissance pré-industrielle, puis industrielle à partir du 19e siècle.
Vers la propriété intellectuelle
Dans les années ‘60, la photocomposition optique d’abord, puis l’informatique, font basculer tout le modèle et les puissances industrielles. Les fonderies commencent à vendre les dessins et la propriété intellectuelle plutôt que toute la chaîne physique. Les typographes s’émancipent des fonderies, et fondent un syndicat, l’International Typeface Corporation (ITC) à New-York. C’est la naissance du modèle de la propriété intellectuelle typographique.
Dans les années ‘80, la typographie numérique engendre l’explosion du piratage, conscient ou non. La plupart des boîtes ne s’adaptent pas à ces changements et font faillite les unes après les autres. Monotype, l’un des géants industriels, sans doute le plus important de la typographie occidentale du début du 20e siècle, passe par le chas de l’aiguille en concluant des accords grâce auxquels il vivote, et ça encore au début des années 2000.
L’ère des web fonts et des actionnaires
Quand les web fonts arrivent (Google Font, etc.), il y a un gros stress dans le monde de la typographie. Avec ces systèmes, les fontes circulent librement sur le réseau. Il devient inadapté de vendre une licence. Plein de systèmes d’obstruction sont mis en place par les fonderies privatives pour limiter cette circulation (des subsets, des versions dégradées…) et les sites payent par pageview (affichage d’une page).
Mais ce sont surtout les apps et les plateformes, consommatrices de la typographie à large échelle, qui vont modifier le paysage. Soit elles utilisent des fontes libres, sans garantie de qualité (entre autres sur la largeur du glyphset) et sans originalité, soit elles utilisent des fontes privatives mais cela leur coûte des millions en pageviews. Elles font alors appel à des fonderies pour créer des fontes sur mesure. Cela leur coûte cher, mais c’est toujours moins cher que de payer par vue. Et donc, tout ça va modifier le paysage. Monotype est vendu à un fonds de pension, les grands acteurs industriels se frottent les mains à l’idée de faire fructifier leur énorme patrimoine typographique. Ils multiplient leurs chiffres d’affaires et ce ne sont que les prémisses d’un nouveau modèle.
C’est ce qui me passionne dans la typographie. C’est un objet numérique où tout est concentré : les enjeux économiques ; les questions artistiques évidemment, avec toutes les filiations ; le légal avec les licences ; la technique avec les logiciels ; les normes qui touchent au langage et donc, à des questions politiques… C’est un super–objet.
Et le libre dans tout ça ?
≠ : Quelle place ont eu les fontes libres dans cet essor des web fonts ?
P : Lorsqu’OSP lance des fontes libres en 2007, nous percevons d’abord les web fonts comme un moyen d’ouvrir la boîte… C’est le cas, mais notre vision est peut-être un peu naïve, vu les résistances et les techniques d’obstruction qui sont apparues rapidement.
Aujourd’hui, Google finance toujours le développement de fontes libres. Ils payent mille dollars la fonte selon nos infos – ce n’est vraiment pas suffisant – et ce sont surtout des designers du Sud (Inde, etc.) qui les créent. Avec cette typothèque, Google assure la base de l’économie de plateforme pour tous les gens qui n’ont pas de quoi financer, mais tous les grands acteurs à la Netflix ont suffisamment de thunes et veulent se différencier. Ils payent des solutions privatives et tout cela déplace simplement les flux financiers qui ont toujours existé dans le monde industriel autour des gros opérateurs (auparavant les imprimeurs, les journaux, etc.). En un sens, les plateformes rejouent cela ailleurs. Elles permettent à l’industrie typographique de retrouver un chiffre d’affaires florissant. Simplement, la captation de richesses ne se fait plus au même endroit. Ce ne sont plus des objets physiques et donc, les flux n’ont rien à voir.
Malgré tout, les web fonts continuent d’ouvrir la manière avec laquelle les fontes libres – celles d’OSP ou de Bye Bye Binary – circulent largement et transforment dès lors le paysage typographique, graphique et donc, politique. C’est en partie parce que le web est le meilleur endroit pour les voir et les promouvoir. En fait, il y a un double mouvement : un mouvement industriel énorme qui fait pression contre ce qui, pour moi, est un processus d’émancipation, et des processus d’émancipation qui sont là, un peu partout, et qui ne sont pas contrôlables.
Pour une autre économie de la production et circulation des fontes
Par exemple, des typographes françaises, Velvetyne [1], proposent la licence amicale [2], qui limite volontairement la distribution à des rapports interpersonnels. Elle interdit la diffusion sur le web mais l’autorise entre pairs, par clé USB ou e-mail. C’est ce qui se fait largement dans le monde de la typographie : pendant le développement d’une fonte, on connaît tel graphiste qui veut l’utiliser en primeur dans un bouquin… Tout ce réseau interpersonnel de la typographie est facilité. Maintenant, une étudiante un peu outillée peut produire une fonte qui tient la route en quelques mois. Avant, les processus étaient beaucoup plus lourds.
≠ : Quel est le modèle économique des fontes libres ?
P : C’est une question épineuse… Le modèle proposé par Google, c’est la dèche, en tout cas en Occident, mais certaines ont payé leur loyer avec ça. Des projets comme Bye Bye Binary reposent sur des gens payés par ailleurs, comme profs notamment, et des étudianx qui ont des boulots alimentaires à côté… De l’argent public finance en partie le chantier et certaines institutions commencent à participer. C’est une économie à très petite échelle.
Du côté des fonderies indépendantes, certaines sont florissantes mais leur modèle repose souvent sur plusieurs ressources alternatives, avec des fontes libres et d’autres privatives, ou du merchandising. Par exemple, j’ai un sweat-shirt censé financer une fonte libre russe.
Je ne sais pas si c’est le bon modèle, mais c’est intéressant. On peut imaginer une sous-culture, tout un écosystème, qui s’étend en se finançant comme ça… à bas coût et à bas gain. À large échelle, c’est plus difficile à dire. La question se pose aussi dans le domaine de la musique…
≠ : Et dans celui du logiciel…
P : Oui, évidemment. Mais en musique et en typographie, c’est un peu différent. Il existe des centaines de millions de morceaux de musique et des dizaines ou centaines de milliers de fontes, mais nous n’en avons pas forcément besoin. Ils constituent la culture, mais un graphiste ou un programmateur de musique peuvent se limiter à une partie de ce champ alors qu’au niveau du logiciel, il n’est pas toujours possible de se passer de telle ou telle fonctionnalité. Donc, la question culturelle est remoulinée autrement.
Et donc, on peut imaginer que ces deux vitesses, entre l’industrie et de multiples sous-cultures, continuent de coexister, comme en musique.
Alors effectivement, cela revient à assumer une forme d’élitisme, de différence entre des groupes sociaux qui accèdent à des mondes différents, qui coexistent sans se connaître. Cela reste une énorme épine dans le pied et je n’ai pas vraiment de solution à part une diffusion gratuite financée par de l’argent public.
Typographie et accessibilité
≠ : Tu as mentionné les fontes inclusives du projet « Bye Bye Binary ». Ce type de démarche ne se fait-elle pas parfois au détriment de l’accessibilité ?
P : C’est effectivement une tension, entre le travail pédagogique, de documentation, et le travail artistique, qui doit rendre visible. Mais on sait que « ce qu’on lit le mieux est ce qu’on lit le plus » [3]. Il faut donc amorcer la pompe et l’utiliser de plus en plus… Il y a cinq ans, le point médian faisait débat. Aujourd’hui, on le lit. Jusqu’il y a peu, les offres d’emploi de La Cambre indiquaient « un choix de ne pas utiliser l’orthographe inclusive pour la fluidité de la lecture » et le directeur se demandait pourquoi si peu de femmes postulaient… Ce genre de mention a disparu après différentes pressions. Comme pour toutes les pratiques, il y a toujours des hurlements quand on veut les changer, mais il faut essayer malgré tout.
Faire une typographie inclusive est complexe. Sommes-nous dans des questions féminin/masculin ou des questions post-binaires ? C’est un fameux chantier mais, d’un autre côté, la typographie binaire, non inclusive, est toujours là, à disposition. Les éditeurs, les éditrices, les graphistes ont le choix d’aller dans un sens ou dans un autre, dans certains cas et pas dans d’autres… La licence utilisée n’invalide pas toutes les autres options, qui nous permettent d’écrire ou de parler de manière inclusive.
Finalement, la solution peut être de ralentir le mouvement, de rendre certaines opérations moins efficientes pour les expliciter, clarifier ce qui se joue. Une licence, un logiciel, une typo ne résolvent pas toutes les questions. Mais on prend le temps de se les poser. En typographie, c’est la même chose : on ralentit la lecture mais cela met au jour certaines questions…
Écoles, pédagogie et logiciels
≠ : Pour terminer, peut-on revenir sur la question des logiciels utilisés dans les écoles supérieures ? À La Cambre, l’Erg et Saint-Luc, des expériences de mise en place de logiciels libres sont en cours (mail, cloud Cloud On parle de « cloud » ou de « nuage » (en français), pour désigner une infrastructure logicielle ou de stockage hébergée ailleurs sur l’internet. Loin de l’imaginaire immatériel que le terme – et souvent les visuels utilisés – illustrent, ces services nécessitent des machines performantes et polluantes, hébergées dans des datacenters. On entend parfois que le cloud est « l’ordinateur de quelqu’un d’autre », cette expression souligne que les données qui y sont enregistrées se trouvent sur une machine appartenant à une autre personne, association ou entreprise. , visioconférence, etc). Quel est ton regard sur ce qui se passe, comment ça se joue, au niveau institutionnel, au niveau des collègues et des étudiantes ?
P : L’école est un reflet de la société, donc ce n’est pas très différent d’ailleurs. Comme quand on discute avec notre famille qui reste sur WhatsApp, il y a beaucoup de craintes…
À mon sens, les écoles ne voient pas assez clairement que c’est leur rôle de faire ce travail-là, qui va être pénible à certains endroits, mais aussi extrêmement épanouissant pour toute la chaîne, tous les gens qui y travaillent. D’accord, une école doit avoir des endroits d’efficacité mais ce n’est pas un endroit de l’efficacité, c’est un endroit du freinage le plus ultime qui soit. Donc, ouvrir toutes ces boîtes, c’est évidemment ce qu’il faut faire en 2023 et de toute urgence. C’est très lent et, en même temps, il y a une vraie appétence de la part de plein d’étudianx.
Il y a un hiatus. Je vois bien que, dès qu’on introduit un élément perturbateur, cela déclenche des imprévus en chaîne pour les enseignantes. Je suis à la fois plein de doutes et d’espoirs… Ce qui est clair, c’est qu’il faut continuer.
Outils libres et professionnalisation
≠ : Comment introduis-tu les outils libres avec les étudiantes ? Comment accueilles-tu leurs craintes ou leurs doutes vis-à-vis de l’utilisation de ces savoir-faire dans le monde professionnel ?
P : Heureusement, dès qu’on regarde sans mauvaise foi ce qui se passe réellement dans les milieux professionnels, même les boîtes les plus capitalistes, les grosses agences bruxelloises de graphisme par exemple, c’est pas compliqué : entre une étudiante qui connaît la suite Adobe et la suite Office et une autre qui parle de logiciel libre, de code et de web, elles privilégient la deuxième, parce qu’elles savent qu’iel connaît quand même en partie la suite Adobe mais, surtout, qu’iel va apprendre, se débrouiller. Même dans ce schéma professionnel le plus brutal qui soit, ça se déplombe assez vite.
Par contre, pour rendre possible le fait que l’étudiante inscrive réellement ça dans son CV, c’est costaud. Aujourd’hui, les étudianx sont soumis à des assignations et des injonctions à rejoindre des réseaux comme Behance d’Adobe ou Instagram pour promouvoir leur travail et avoir l’air professionnelles, des plateformes où tout est fait pour lisser l’expérience, faire que rien ne dépasse.
En même temps, celles et ceux qui arrivent en école d’art sont aussi celles et ceux qui questionnent ce monde-là, qui ne sont pas forcément adaptées à cette promesse d’enrichissement rapide et qui réagissent. Dès qu’on se met en écho de ces questionnements et qu’on donne des perspectives un peu amusantes, ça peut quand même accrocher. Un master, ce sont deux années tout à fait particulières dans un parcours, deux années où l’on perd de l’argent, on doit bosser à côté… Cet entre-deux, c’est le moment de leur montrer qu’il y a quand même quelque chose de plus excitant que les grand-messes d’Apple !
