je vois l’Kebab : l’Istanbul Grill
c’était lundi 1er Novembre, assez tôt l’soir
j’étais dedans l’Istanbul Grill, snack de Morlaix, dans le Finistère
je voyais la télévision
après l’avoir identifiée, j’ai scanné rapidement les lieux, et puis les gens
je m’plongeais sans esquive dedans : c’était la BFM TV
je vois la tête d’Yves Calvi,
un type que je voyais parfois dans la télévision de papa
Il questionne le patron de Greenpeace
des lignes bleues électricité entourent leurs têtes toutes néonées
Le mec essaie d’en placer une
y’a des phrases qui passent en dessous
« les chaleurs insoutenables en France »
« incendies, famines, pénuries »
La tête horrible de Zemmour clignote dans le coin de l’écran
Je vois le feu.
Je vois le bleu de BFM et j’vois le feu.
Je vois aussi le front d’Zemmour, son crâne d’enfant
mais je n’ai pas l’espace mental d’l’imaginer à la récré, en CE2
j’aimerais bien, mais y’a pas d’place.
Je vois sa tête, je vois les flammes, je vois le sceptiqu’Yves Calvi
face au little boss de Greenpeace et je dézoome
J’vois tous les gens sur leurs portables, nuques courbées
yeux captivés et fatigués
il y a celles qui regardent dans le vide
J’vois la télé fixée en haut
Dans la télé j’vois les voitures
Y’a un panneau COP26 avec inscrit Cette année c’est l’Écologie
j’vois les bagnoles qui crachent du feu, des tonnes de charbon en poupoudre
J’me vois moi-même chercher mon tel,
saisie d’angoisse.
Quand soudain, d’un coup j’y vois clair, ça m’apparaît
on n’y arrivera jamais
on n’peut plus convertir le monstre
modifications impossibles
pas de pomme z ni de pomme c
on n’opérera pas de changement, pas ceux qui seraient nécessaires
suicide de désir pas possible, on n’prendra sûrement pas l’virage
on est allé es beaucoup trop loin
c’est le virage qui va nous prendre
les murs se fracasseront sur nous et avec les morceaux de crânes
et les débris de nos écrans
on fera des pièces détachées
on commencera à recommencer
j’me vois voir ça et j’re dézoome
je n’sais plus c’qui est dedans moi, ni ce dans quoi moi je me trouve
je n’sais pas si je suis hors-sol
ou si je suis hors de moi-même
je suis dedans et avec vous
non pas fait es à l’image de Dieu mais plutôt fait es comme des rats
c’est sûr on va s’prendre un râteau
on n’peut plus revenir en arrière
voyez un peu
j’me politise sur Youtube
j’en apprends sur le communisme, l’autonomie, la décroissance
via mon appli to-good-to-know
j’écoute Frédéric Lordon via cet enfer d’Apple Podcast
il arrive même que j’me masturbe en guettant le ciel
pour que les bullshit satellites d’Elon Musk
se réalignent sur ma flemme
je n’peux pas devenir un sujet
c’est au-delà d’mes capacités
mon corps est une hémorroïde
je ne suis qu’une boursoufle, un coussinet
une vague veine éclatée au sol
j’aimerais attendre que l’orage passe
je ne sais pas danser sous la pluie
ça bouge trop
je me vois voir
et je ne sais plus ce que je vois : je re-dézoome
j’vois la télé, j’vois les voitures et le panneau ÉCOLOGIE
j’vois les portables de mes compères et les cernes sous les yeux de Calvi
je vois le câble qui lie la télé au réseau élekeutrik
et j’ai l’chargeur de mon portable gentiment glissé dans ma poche
des contractions électroniques viennent secouer mon intérieur
j’vois les téléphones éclairer les visages pâles
j’vois des télés dans des fenêtres et des fenêtres dans l’ordinateur
je me vois voir et je ne sais plus ce que je vois
pendant que d’autres attendent leur kebab
je n’vois plus d’feu, je vois Zemmour au CE2
il y a des larmes dans mes yeux
et quand j’les ferme ça continue
la vie poursuit son expansion et ma rate se remplit de bile
comme les sauces de
l’Istanbul Grill