Depuis le début des années nonante, un discours continuel instaure une certaine pression sur le monde de l’école : il ne faut pas rater le train du numérique.
Dans un premier temps, la principale réponse à cette injonction s’est focalisée sur le matériel. La Fédération Wallonie-Bruxelles, désargentée, s’est tournée vers les régions qui ont chacune proposé divers plans d’investissement dans les écoles. Une question restait cependant importante à nos yeux : comment utiliser ce matériel ? L’outil numérique arrivé dans les classes pouvait tant être le vecteur de renouveau pédagogique qu’un gadget perpétuant des fonctionnements désuets. Utiliser un tableau interactif
tableaux blancs interactifs
tableaux interactifs
tableau interactif
TBI
Le Tableau Blanc Interactif
est un dispositif pédagogique numérique par lequel le bureau
d’un ordinateur est projeté sur une surface tactile (par exemple un tableau blanc muni de capteurs).
Les élèves et les professeur
es
peuvent interagir avec le tableau
à l’aide d’un stylet ou de leurs doigts. pour afficher des pages d’un manuel scolaire et remplir des exercices lacunaires sur l’écran ne révolutionne pas vraiment l’école !
Par ailleurs, tant en Belgique qu’en France, les ministres de l’Éducation n’ont cessé d’affirmer un certain déterminisme de la numérisation de la société. Inéluctable, celle-ci ne se discuterait même pas. Aux CEMÉA, nous soutenons qu’il est important de ne pas entrer dans cette injonction du numérique forcément utile à l’Éducation. Nous invitons le monde enseignant à s’inspirer de la phrase du philosophe Gaston Bachelard « II faut mettre la société au service de l’école et non pas l’école au service de la société ». Or, lorsqu’il « ne faut pas rater le train de la numérisation », c’est la société numérique qui s’impose à l’École. Au contraire, lorsque l’Éducation utilise l’outil numérique comme soutien à sa rénovation, à son émancipation d’une certaine scolastique, elle met le numérique à son service.
Une évolution est aussi à constater dans les contenus de ce qui constitue l’apprentissage du numérique. Si les premiers cours « d’informatique » portaient souvent sur des langages tels que Logo, Basic ou Pascal, ils sont aujourd’hui plutôt centrés sur l’utilisation de logiciels, souvent propriétaires. Est-ce à l’école de « formater » les futur
e s utilisateur ices de Word et d’Excel, ou d’assurer à Apple et Microsoft un réservoir suffisant de consommateurices captif ves ?Enfin, notre école est entrée depuis 2015 dans une grande réforme : le pacte pour un enseignement d’excellence. L’avis numéro 3 déposé par le groupe de travail central du pacte en 2017 en est la colonne vertébrale. À sa lecture, nous pouvons constater que le mot « numérique » est présent sur près d’une page sur trois. Le mot tableau, lui, ne s’y retrouve que cinq fois dont deux fois dans l’expression « tableau interactif
tableaux blancs interactifs
tableaux interactifs
tableau interactif
TBI
Le Tableau Blanc Interactif
est un dispositif pédagogique numérique par lequel le bureau
d’un ordinateur est projeté sur une surface tactile (par exemple un tableau blanc muni de capteurs).
Les élèves et les professeur
es
peuvent interagir avec le tableau
à l’aide d’un stylet ou de leurs doigts. ». Nous y trouvons aussi les expressions de « réussir la transition numérique », de « gouvernance numérique », « d’éducation par et au numérique »... Ici encore, la transition est présentée comme inéluctable. L’école de demain sera forcément numérique.
Pourtant, encore faut-il que le « Plan numérique » soit un réel bénéfice pour les apprentissages. Dans certaines études antérieures au pacte, notamment l’enquête Pisa de 2012, aucune amélioration des résultats scolaires n’était constatée dans les pays utilisant plus le numérique à l’école. D’autres études montrent même une corrélation entre investissements conséquents dans la numérisation et baisse du niveau moyen aux tests Pisa [1].
D’autres études intéressantes du CERE (centre d’expertise et de ressource de l’enfance) sont récemment venues éclairer les premiers enseignements de ce développement du numérique. Dans l’une d’elle, datant de 2021, Christine Acheroy et Caroline Leterme posent la question de l’usage du numérique en maternelle, constatant le soutien de la FWB pour certains projets utilisant des tablettes numériques, et ce, en dépit de certains travaux de Serge Tisseron [2]. Elles remarquent aussi que la numérisation de l’enseignement se fait en dehors de toute considération éthique et écologique, « en contradiction avec des valeurs au cœur du projet éducatif » telles que « la solidarité, l’éthique et la responsabilité » pourtant « d’autant plus nécessaires face à la crise écologique et climatique ». Elles concluent très justement par la phrase suivante : « Plutôt que de participer inconditionnellement à la "transition numérique", l’école doit plus que jamais miser sur l’éthique et le vivant ».
À la lecture de l’interview de la ministre de l’Enseignement dans ces pages, il ne nous semble pas encore que l’éthique et le vivant aient trouvé d’aussi bons lobbyistes auprès de nos politicienn es que ceux de l’industrie numérique.